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TONNERRE DE ZEF

TONNERRE DE ZEF

blog d'OLIER LE BRIS, auteur des aventures d'Olivier Féas en Bretagne et en Nouvelle-France, au XVIIIe siècle.


LE DUC DE CHARTRES A BREST (1775)... DU RIFIFI POUR UN CANOT !

Publié par OLIER LE BRIS sur 5 Août 2017, 15:23pm

Catégories : #Histoire

Le canot d'apparat du marquis de Paulmy, Brest 1754

 

LA PLUME ROUGE vous propose :

 

A l'heure où l'on attend, pour cause de travaux parisiens, un éventuel retour à Brest-Capucins du Canot impérial conservé au musée de la marine, ce petit billet intéressant d'autres canots de prestige brestois… totalement ignorés ceux-là.

 

 

PETITE HISTOIRE DE CANOT

 

Lettre en date du 22 mai 1775, de M. Charles-Claude Ruis-Embito (ca. 1705-1776), intendant de la marine à Brest, adressée à M. Antoine de Sartine, secrétaire d'Etat à la marine dont je publie le journal inédit de la visite à Brest sur ce blog :

 

"Mgr, Sur la demande qui m'a été faite d'un canot pour l'usage particulier de M. le Duc de Chartres* pend[ant] la campagne qu'il va faire, j'avais destiné un [canot] en supplément à la frégatte la Terpsicore. Il est présentement question d'un tendelet* à lui donner. J'ignore, Monseigneur, si vôtre intention est que l'on en fasse un neuf ou que l'on y adapte un de ceux que nous avons ici.

Il y en a trois de damas cramoisi qui ont servi dans quelques circonstances d'éclat.

Un qui a été envoïé de Dunkerque [1744] destiné pour l'usage du feu Roy. Il est bordé d'un très beau galon d'or de trois doigts de large à festons.

Le second a été fait pour servir à M. le Maréchal de Conflans [1757, 1759] dans la dernière escadre qu'il a commandée. Il a moins d'éclat que le premier.

Le troisième avait été fait pour M. le Duc de Penthièvre [1746-1747] mais il est plus vieux que les deux autres.

Je vous supplie, Monseigneur, de vouloir bien me faire connoitre lequel vous jugez à propos qui soit destiné pour M. le Duc de Chartres ou s'il en doit être fait un neuf, et enfin la dépense que vous voudrez qu'on fasse à cette occasion."

Réponse de Sartine, en date du 28 mai 1775 : "J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m'avez écrite le 22 de ce mois. Je vous ai expliqué, ainsi qu'à M. d'Orvilliers, que l'intention du Roi et celle de M. le Duc de Chartres, est qu'il ne lui soit rendu aucuns honneurs soit dans les ports et arcenaux, soit à la mer. Il faut s'y conformer exactement ; ainsi il ne doit pas être question de destiner à la frég[a]te la Therpsychore*, un canot pour l'usage particulier du Prince ; et encore moins de faire faire un tendelet neuf, ni même de faire embarquer l'un des trois qui sont en magasin et dont vous avez fait la description. Au surplus je ne puis que donner des éloges à l'attention que vous avez eue à demander des ordres sur la conduite que vous aviez à tenir en cette occasion."

 

Le 1er juin l'escadre d'évolutions et la Therpsicore (comte de Guichen) quittent la rade de Brest et partent croiser sur les côtes d'Espagne. Le duc de Chartres sera accueilli dans toutes ses escales (La Corogne, Saint-Jacques-de-Compostelle, Ferrol) comme un Prince et couvert d'honneurs par les autorités espagnoles en dépit des ordres du ministre.

 

Mais pour l'intendant de Brest, l'affaire n'est pas finie et va se gâter, car en bon courtisan - traduire : ayant cédé "aux vives instances" répétées de tiers (M. d'Orvilliers, de Guichen ?)… il avait fait embarquer en dépit de l'intention du Roi relayée par Sartine "un canot pour l'usage particulier de M. le Duc de Chartres, avec un des trois tendelets que vous aviez en magasin. (…)". Pour cet acte de désobéissance Ruis-Embito est admonesté par Sartine dans une lettre du 30 juin 1775 ; ce dernier lui reproche son manque de fermeté face aux sollicitations… Cet écart de conduite augurait mal de la visite du ministre à Brest prévue pour le mois d'août de la même année. Il est probable que le Roi ne souhaitait pas mettre trop en avant la popularité de son "cousin" Orléans qui lors de son séjour brestois de mai 1772, sous le règne précédent, avait été tant acclamé par la population locale que son séjour avait été écourté ; c'est du moins ce que croit savoir "l'Espion Anglois" proche des Orléans : "On croit que le Prince, instrument de l'ombrage que la cour prenoit de tant de marques d'attachement pour son altesse, a abrégé son voyage pour dissiper les inquiétudes du ministère". Sartine en 1775 ne voulait probablement pas que la popularité du duc de Chartres ne fasse de l'ombre au jeune Louis XVI, à peine sacré à Reims (11 juin) et à ses frères, Provence et Artois. Le 8 septembre 1775 la Terpsichore entrait en rade ; Sartine était sur place depuis le 24 août... Le lendemain, sans tambours ni trompettes, le duc de Chartres quittait Brest pour Paris. Le 12, il se présentait à Versailles pour faire sa cour au Roi… Dans ses "Mémoires secrets", Bachaumont ne pipe mot, ni de canot… ni de tendelet… mais il s'étend sur la santé du Prince, "revenu fort maigre et fort sec, n'ayant pu manger, et tourmenté souvent par le mal de mer. Il ne paroît pas cependant qu'il se dégoûte du métier…" Il ne paraît pas dégoûté car il figurera à Brest en 1776 puis, en juillet 1778, à la bataille d'Ouessant.

 

Source du fait-divers : Arch. SHD Marine Brest, 1E 541, 22 mai 1775, p. 180-181 et fonds Levot, Ms. 40, p. 532-533.

Illustration : BNF, Bibl. Arsenal, MS-6436 (98c) : Carte de la « 3e tournée militaire dans les provinces maritimes occidentales de la France : Normandie et Bretagne » [1754].

 

Notes :

"tendelet", embarcation disposant d'une protection contre les intempéries, le plus souvent une couverture en toile forte ou en cuir.

"Duc de Chartres", Louis-Philippe d'Orléans (1747-1793), le futur "Philippe-Egalité" de la Révolution.

"Terpsichore", frégate de 36 canons (1763-1783), CV comte de Guichen.

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