LA PLUME ROUGE vous propose :
Extraits inédits du Voyage dans les ports de Bretagne
ou Journal de M. de Sartine, ministre de la Marine
à Brest (samedi 24 août - 11 septembre 1775).
Dimanche 4 septembre [1775, Brest]
« J’employais la plus grande partie de la matinée à expédier un courier pour Versailles et un autre pour la Bretagne. Je me rendis ensuite dans le port où je continuai la visite des vaisseaux et des frégates.
« 4e visite de Vaux – Votre Majesté a vu le résultat de la visite générale de tous les bâtimens, dans un état particulier que j’ai eu l’honneur de mettre sous ses yeux. Je dinai chez M. de St Maime* colonel du régiment de Soissonnais* et après diner je m’embarquai sur le cutter Le Milan* pour visiter la rade et reconnaître de plus près les différens caps qui se trouvent sur son contour. Visite de la rade - Les points où l’on a établi des batteries de mortiers ou de canons, les différentes rivières qui y ont leur embouchure et les îles qui s’y rencontrent, je reconnus en examinant la position respective des différentes batteries, qu’il n’est aucun point de la rade où un vaisseau ennemi pût mouiller sans être exposé au feu de quelques batteries mais je ne dois laisser ignorer à Votre Majesté que toutes les batteries sont dégarnies de mortiers de canons ou d’affûts. C’est au département de la guerre à les armer. On me fit remarquer aussi la position des balises qui indiquent les endroits de la rade où le fond n’est pas assez grand de basse mer pour que les vaisseaux puissent y mouiller sans s’échouer.
« Projet d’un port dans la rivière de Landévenek - On me parla d’un projet qui avait été proposé plusieurs fois de faire un port dans la rivière de Landéveneck* du côté de la rade opposé à celui de Brest. L’objet de ce port serait de recevoir une partie des vaisseaux qui sont trop resserrés dans celui de Brest, mais la dépense immense qu’exige un pareil établissement, pour élever les magasins nécessaires à un port du Roi, les inconvénients sans nombre, les abus auxquels expose une double administration, tout concourt à rejetter un projet dont l’utilité même, telle qu’on veut la présenter, n’est pas encore bien reconnue, et peut être suppléé par le prolongement du port de Brest, lorsque cet ouvrage sera terminé et que les nouvelles fortifications mettront la totalité du port à l’abri de toute entreprise.
« Je rentrai dans le port à la nuit et le reste de la journée fut employé à donner audience chez moi à tous les gens du port et à travailler dans mon cabinet. »
A SUIVRE
Notes :
« M. de St Maime » – Jean-Baptiste-Louis-Philippe Félix de Saint-Maine, comte de Muy (1755-1820). Capitaine (1771), colonel du régiment de Soissonnais-Infanterie (29 janvier 1775) à 19 ans ! Services émérites sous la Révolution et l’Empire dont il fut fait baron… Un opportuniste de grand style.
« régiment de Soissonnais » - cf. note du 26 août 1775.
« Le Milan » - Cutter de 4 canons. Construit à Bordeaux (1770-1771). En service (1771). Retiré du service à Brest (1784). (LV Roche, Dictionnaire…, 1, p. 309).
« Landéveneck » – Landévennec (Finistère). Dans le fond de la rade de Brest, dans l’estuaire de l’Aulne, l’anse de Penform fit dès le XVIIe siècle l’objet de nombreuses études en vue de la création d’une « réserve navale » - zone de mouillage – pour désengorger le port militaire de Brest, resserré jusqu’en 1867, dans la rivière de Penfeld. Une « station navale » fut activée en 1856. Aujourd’hui elle accueille encore quelques bâtiments de la Royale en attente de « devenir ».