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TONNERRE DE ZEF

TONNERRE DE ZEF

blog d'OLIER LE BRIS, auteur des aventures d'Olivier Féas en Bretagne et en Nouvelle-France, au XVIIIe siècle.


JOURNAL DE VOYAGE DE SARTINE A BREST, 6 septembre 1775.

Publié par OLIER LE BRIS sur 3 Février 2018, 20:37pm

Catégories : #Histoire

 

LA PLUME ROUGE vous propose :        

 

JOURNAL DE VOYAGE DE SARTINE A BREST,

6 septembre 1775.

Extraits inédits du Voyage dans les ports de Bretagne ou Journal de M. de Sartine, ministre de la Marine à Brest (samedi 24 août - 11 septembre 1775).

 

PRECEDENT

Mardi 6e septembre [1775, Brest]

« Comparaison des toiles de Rennes avec celles d’autres manufactures - J’avais reçu de Rennes les échantillons des toiles à voiles* de la manufacture du sieur Boucher que je m’étais proposé de comparer avec celles de la manufacture de Rochefort qui fournit en grande partie tout l’approvisionnement du port de Brest, à quelques toiles près qu’on tire d’Angers. Je fis porter ces échantillons au magasin des toiles et je m’y rendis moi-même. Le sieur Boucher avait envoyé 15 ou 20 espèces de toiles différentes. Je les fis composer qualité par qualité avec celles de Beaufort et d’Angers, et même avec celles de Brest selon que les qualités se correspondaient ; Aucune de celles de Rennes ne fut trouvée inférieure à celles des autres manufactures : plusieurs même furent jugées supérieures : on convient généralement que deux de ces toiles entre autres étaient les plus parfaites qu’on eut jamais vues. On a cru devoir réduire dans le port de Brest, les toiles à l’usage des vaisseaux à 7 qualités ou espèces seulement. Dans le nombre des échantillons de Rennes, il y avait plusieurs espèces qui ne correspondaient à aucune de celles qui sont employées dans le port ; mais il m’a paru qu’il pouvait être avantageux de s’approvisionner aussi de toiles intermédiaires, afin de mieux proportionner la qualité et la force des toiles à la grandeur des vaisseaux, frégates et autres bâtimens. J’ai donné ordre qu’il fut fait un examen encore plus approfondi des toilles de Rennes, par comparaison avec celles des autres manufactures ; qu’on comptât les fils de chaque toile, qu’on en pesât une aune enfin qu’on comparât les prix car le nombre des fils, le poids et le prix des toiles sont des données nécessaires pour faire une comparaison exacte, fixer un jugement et déterminer la préférence que les unes méritent sur les autres.

"Salle des gabaris – En sortant du magasin des toiles, je me rendis à la salle de gabaris* située sur le quai des formes de Pontaniou. C’est là que se tracent les plans des vaisseaux, et que d’après les lignes tracées on coupe des planches mêmes qui servent ensuite de modèle pour tailler les pistes mêmes qui doivent être employées dans la construction d’un vaisseau. M. Olivier ingénieur constructeur en chef fit trâcer en ma présence plusieurs coupes d’un bâtiment, me détailla les procédés que l’on met en usage et m’expliqua les règles d’après lesquelles on opère.

"Visite des fortifications de Recouvrance – Je vins diner chez M. d’Orvilliers* et l’après-midi je m’embarquai avec ce commandant, avec M. de Béhague, l’ingénieur en chef de la Place, de plusieurs officiers de la Marine et de la garnison pour me rendre du côté de Recouvrance et en visiter les fortifications. Nous visitâmes d'abord la batterie du Fer à cheval* et la batterie Royale* qui terminent tous les ouvrages de ce côté. Ces deux batteries ont appartenu de tout temps à la Marine et lui étaient mêmes restées lorsqu’on jugea à propos de lui retirer toutes celles de la côte pour les donner au département de la guerre. Elle réclame spécialement ces deux batteries comme faisant la sureté de l’entrée du port, comme étant un prolongement et un arrondissement des quais qui lui appartiennent et comme pouvant être entièrement séparées du corps des fortifications. Il n’est pas douteux qu’en cas d’entreprise de la part de l’ennemi, on ne fut obligé de confier le service de ces batteries à la Marine, plus en état que des artilleurs de terre de juger des projets des vaisseaux ennemis d’après la manœuvre qu’on leur voit exécuter ou même préparer. Elles exigent d’ailleurs 600 hommes au moins pour être bien servies et la Marine seule peut fournir au premier ordre un pareil nombre de canoniers ou de soldats et de matelots capables d’en faire les fonctions. Tous les magasins qui dépendent de ces batteries appartiennent encore à la Marine et lui sont nécessaires ; et si les batteries en sont séparées, il est à craindre qu’en cas d’attaque, le mélange des deux services n’occasionnât au moins de la lenteur. La batterie Royale et celle du fer à cheval avaient été armées avec des canons de 48 quand elles appartenaient à la Marine : on avait fait faire des affuts d’une construction particulière, remarquables par une grande solidité, qui ne faisait rien perdre de la célérité du service pour parvenir à la conservation de chaque canon et de son affût, on avait fait des espèces de cabanes roulantes pour chaque pièce, et on les y tenait à l’abri des injures de l’air. Toutes ces dépenses ont été perdues quand ces batteries ont été ôtées à la Marine.

"Le département de la guerre a fait venir de Douay* et d’ailleurs des canons de 24 avec leurs affûts de campagne : Les canons et les affuts de 48 de la Marine devenus inutiles sont relégués sous des hangards : ce calibre est trop fort pour être employé sur les vaisseaux.

"Projet d’un port marchand - En quittant la batterie Royale on me fit voir l’anse de Laninon*, plage de sable à l’ouest de cette batterie, où le débarquement est très facile, et où l’on a plusieurs fois proposé de faire un port marchand, afin de débarasser le port de Brest de tous les bâtimens particuliers qui font encombrement à l’entrée. Ce projet qui présente beaucoup d’utilité est d’une exécution facile. Il suffit de pousser une jettée qui parte de la pointe occidentale de la batterie Royale, d’une part et de l’autre, d’une pointe qui forme avec la première, l’anse de Laninon.

"Cette anse est dominée par un coteau nommé le Stiff* domine pareillement tous les ouvrages de Recouvrance, le port et la ville. Il est probable que M. le Maréchal de Vauban qui a fortifié Brest, n’eut pas négligé d’occuper ce poste important, s’il eut pu achever son ouvrage mais la Guerre de Succession interrompit le travail et on se contenta d’élever un mur d’enceinte et quelques bastions sans aucun ouvrage avancé.

"Nouveaux ouvrages de fortifications – On a senti depuis la nécessité de fortifier l’Estif [le Stiff], pour empêcher que l’ennemi ne s’empare d’un poste d’où il pourrait incendier le port et incendier le port et foudroyer la ville. On y fait à présent deux lunettes* qui se protègent l’une l’autre et qui vont se lier au corps de la place. En continuation de ces nouveaux ouvrages, on en fait d’autres pour prolonger de ce côté l’enceinte du port qu’on a considérablement étendu, et dont à présent une partie reste sans aucune défense. Ces nouveaux ouvrages qui sont déjà fort avancés, se termineront à Kervalon* où l’on établira la chaîne de l’arrière-garde du port. On se propose de prolonger ensuite l’enceinte du côté de Brest, jusques à cette même hauteur de la rivière, en conservant toujours l’ancien cordon de la Place dont le tracé conduit sur le terrain le plus inégal, le plus irrégulier, et toujours à double revers, est regardé par les connaisseurs comme un chef d’œuvre de l’art qui porte l’empreinte du génie créateur de Vauban.

"Les ingénieurs estiment que la totalité de ces ouvrages peut être terminée dans l’espace de 6 ans, si l’on y emploie annuellement comme on l’a fait jusqu’à présent une somme de 150 à 200 mille livres. Le devis total est de 18 cents mille livres. On pourra être assuré alors que Brest est à l’abri d’un coup de main du côté de terre, il ne serait pas en état de soutenir un siège en forme ; mais la difficulté et peut-être l’impossibilité de voiturer de l’artillerie à travers le pays le plus inégal, fait la sureté de la Place, en donnant aux troupes répandues en Bretagne le temps d’arriver, avant que l’ennemi ait pu mettre une seule pièce de canon en batterie.

"Je me rembarquai à la nuit pour revenir chez moi où je travaillai à l’ordinaire jusques à l’heure du souper avec divers officiers sur différentes parties du service."

A SUIVRE

 

Notes :

« toiles à voiles » - toiles et manufactures, cf. 29 août 1775.

http://tonnerredezef.over-blog.com/2016/12/journal-de-voyage-de-sartine-a-brest-29-aout-1775.html

« salle de gabaris » - située rive droite, sur le quai, à l’aplomb de la « montagne des Capucins » dans un bâtiment servant en rez-de-chaussée au stockage des « fers » ; la salle des gabarits pour le traçage des épures des bateaux fonctionnait au 1er étage (1768-1769), puis au grenier (1790).

« D’Orvilliers » – cf. 24 août 1775

http://tonnerredezef.over-blog.com/2016/05/journal-de-voyage-de-sartine-a-brest-24-aout-1775.html

« Batterie du fer à cheval » – Cette batterie de défense de l’entrée de la Penfeld, comme la suivante, était implantée à Recouvrance, à la Pointe, au lieu-dit « Roz an avalou » (tertre des pommiers) – auj. angle du Jardin des Explorateurs, côté rue de Toulon, face au chenal d’accès). Intégré dans le système défensif, au ras du rempart, avec corps de garde, magasins à poudre, etc. Elle porta le nom de « Batterie de la Pointe » (ca. 1665) puis de « batterie du Fer-à-cheval » (ca. 1690). Elle possédait 10 canons et 4 obusiers en 1776.

« Batterie royale » –  Cette batterie de défense de l’entrée de la Penfeld, comme la précédente, était implantée à Recouvrance, à la Pointe, au lieu-dit « Roz an avalou » (tertre des pommiers) – auj. Jardin des Explorateurs et gendarmerie maritime, côté rue de Toulon). Elle porta le nom de « Batterie royale» (ca. 1666). Elle possédait 25 canons et 6 mortiers en 1776. Ces deux batteries étaient reliées au quai du parc aux Vivres par une rampe abrupte, au départ de la batterie du Fer-à-cheval.

« Douay » - Fonderie de canons (1669) et école royale d’artillerie.

« Anse de Laninon » - extra-muros, rive droite de la Penfeld, sur la paroisse de Saint-Pierre Quilbignon. Village de pêcheurs et de marins, chantier naval dès le XVIe siècle, accès longtemps barré par les retranchements du fort de Chaulnes (1671-ca. 1740) hormis celui longeant le rempart de Brest. La population avait ses habitudes de vie à Brest-Recouvrance (Paroisse Saint-Sauveur, marché et foire, justice, cimetière, etc.). Grève ouverte sur la rade, baignades, régates, jusqu’à la mainmise du bord de mer par la Marine (à compter de 1861). Etudes par la Marine dès 1778 pour en faire le port de commerce de Brest et désengorger la Penfeld. Cette étude sera menée à bien, mais le port verra progressivement le jour à Porstrein (remblais) et non à Laninon. Aménagement de l’avant-port (excavations), occupation des espaces dès 1861-1862 (projet Gueydon), Quatre-Pompes (1862), digue et jetée de la rade abri (1889), quai d’armement (1905), centre des flotilles (1906), bassins n°8 et n°9 (1910-1916), quais des flottilles (1918), aéronavale américaine puis française (1917), école navale provisoire, etc.

« Le Stiff » - en Saint-Pierre-Quilbignon [auj. Kerangoff] Ce coteau a servi au XVIIIe siècle de polygone de tir pour les écoles de canonnage de la Marine disposées sur le rempart de Recouvrance, du côté de la Pointe (batterie royale).

« deux lunettes » - butte de tir (cf. supra). Lunettes de défense dites du « Stiff », ouvrages avancés servant de points d’appui pour la surveillance des approches cachées à la vue du rempart de Brest. Construites en 1776, démolies en 1779. Au XIXe siècle le coteau fut en partie arasé, appelé aussi « plaine de Kerangoff », servit de « champ de manœuvres » pour la garnison de Brest jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale. Camp de débarquement de la base portugaise de Brest (1916-1919).

« Kervalon » - Au XVIIIe siècle la chaîne de clôture du fond du port (arrière-garde) était tendue entre les tours noire et blanche [auj. emplacement du pont de l’Harteloire] ; cette chaîne fut repoussée en 1797, en amont, entre Quéliverzan et le Bouguen, au niveau de l’actuelle limite de l’arsenal (nouvelle porte de l’arrière-garde, en 2018)- cf. sur Kervallon et son Histoire : http://tonnerredezef.over-blog.com/2016/01/kervallon-a-brest.html

Les Aventures d'Olivier Féas, au Conquet et à Brest au XVIIIe siècle

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